L’accusation, convaincue que l’accusé a cherché sa fille pour la supprimer,
a requis 30 ans. Pour la défense, il l’a tuée par peur de la voir s’échapper.
Cour d’assises de Loir-et-Cher
Recroquevillé dans le box, la tête baissée, Rabah Cherchour s’est bouché les oreilles, hier matin, pour ne pas entendre le médecin légiste puis l’expert en balistique, disséquer toute l’horreur de son crime commis le 14 avril 2007, à Salbris.
Lors de cette troisième et dernière journée de procès, Me Éric Najsztat s’est fait le porte-parole d’Éric Heller, ce jeune homme qui a failli mourir aux côtés de Nahima Cherchour. « Éric n’est plus qu’une ombre vêtue de noir, il est l’expression de la souffrance et de l’absence de sa compagne. En trouvant l’amour, il a aussi croisé la mort. Il n’a pas sa place dans le secret abîme de Rabah Cherchour, il ne lui a pas volé sa fille. Si l’accusé avait mené une vraie vie de père, il aurait accepté de la voir se marier à l’église ou à la mosquée, qu’elle porte le nom d’un autre ; il aurait accepté de les voir vivre ensemble. »
L’avocat a également dressé un parallèle saisissant entre le père et la fille : « Elle a mis autant d’énergie à lui échapper que lui à développer des stratagèmes pour la retrouver. Malheureusement, tout ce qu’elle a redouté s’est déroulé. Éric, le gendre idéal, se projetait avec elle dans une vie familiale normale. Il ne pouvait imaginer une telle issue : un père ne tue pas son enfant. » Le conseil de la victime ne croit pas à un crime irréfléchi et passionnel : « Ce fut une exécution. Blessé de deux balles, Éric Heller s’attendait à un autre coup de feu : celui de Rabah Cherchour se suicidant, mais il ne s’est pas produit. »
Dans son réquisitoire, Dominique Puechmaille, avocat général, dit ne pas comprendre ce geste meurtrier, mais la magistrate se dit convaincue que Rabah Cherchour a recherché obsessionnellement sa fille, uniquement dans le but de la supprimer. L’accusation voit dans la fugue de Nahima, le 13 février 2003, le point de départ de la mécanique criminelle du père. « Il n’a jamais eu de relation fusionnelle avec sa fille qui, confiée à ses grands-parents, n’a jamais vécu avec lui. Elle est partie pour rompre avec un carcan familial et éducatif qui lui pesait. »
Le ministère public décrit ensuite un homme « déterminé et froid », qui tente de donner « une apparence spontanée et irréfléchie » à son crime. La préméditation, à ses yeux, ne fait aucun doute : « Il a fait croire qu’il se réconciliait avec sa fille pour la mettre en confiance. Quand ils sont arrivés à son domicile de Salbris, les armes étaient déjà chargées. Depuis le début de l’enquête, il dit ne plus se souvenir du drame, mais son amnésie est à géométrie variable. »
Une peine de trente ans de réclusion est requise à l’encontre de l’accusé.
“ Dans sa tête,
il ne sortira
jamais
de prison ”
Au cours d’une plaidoirie de trois heures, les avocats de la défense, Mes Jacques et Jean-Michel Sieklucki, vont s’efforcer d’apporter une explication à un acte « monstrueux, absurde et contre nature ».
Le premier demande aux jurés de ne pas s’arrêter aux apparences trompeuses : « L’aspect culturel et religieux n’a rien à voir avec ce dossier. La famille Cherchour ne vit pas dans une tradition étouffante et obscurantiste, mais bien dans l’ouverture et la tolérance. Rabah Cherchour a, de son côté, mené une existence décousue, aimant le tiercé, fréquentant les femmes ; mais il a toujours veillé à s’occuper de sa fille, avec qui il avait une relation passionnelle. Pourquoi est-elle partie ? Sa famille nourrissait peut-être trop d’attentes tandis qu’elle aspirait à vivre sa vie. Elle a eu peur lorsqu’elle a appris que son père et son oncle la recherchaient, craignant sans doute leur réaction. Mais il n’a jamais été question de séquestration ou de mariage forcé. »
Pour le bâtonnier Jean-Michel Sieklucki, c’est la disparition de Nahima qui a entraîné l’effondrement moral et psychologique du père. « Ce départ sans explications a laissé toute la famille dans le vide. Rabah Cherchour a entamé des recherches légitimes de la part d’un père inquiet. Il allait, tôt le matin, à Paris, non pas pour l’épier, mais simplement pour la voir, constater qu’elle allait bien. C’était sa bouffée d’oxygène. »
L’avocat tourangeau explique alors que, si Rabah Cherchour a tué sa fille, c’est parce que, plongé dans une détresse affective profonde, il a eu peur de la voir s’échapper à nouveau. Mais il n’a pas prémédité son crime. « Dans sa tête, il ne sortira jamais de prison. Laissez-lui l’espoir de retrouver un jour la liberté et de faire face à ses actes et à l’absence de sa fille. »
Après deux heures délibéré, les jurés ont reconnu Rabah Cherchour coupable des chefs d’accusation et l’ont condamné à 25 ans de réclusion criminelle. Lionel Oger